mars 2023
Le 3 mars dernier était une journée teintée d’amertume pour les droits humains. Voilà sept ans jour pour jour que Berta Cáceres, militante écologiste hondurienne, était assassinée pour avoir organisé la résistance du peuple Lenca contre la construction d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve Gualcarque. Ce projet, une fois réalisé, aurait inondé des terres et privé des centaines de personnes d’approvisionnement en eau et en nourriture.
Berta Cáceres s’est engagée très jeune en faveur de la défense des droits humains et de l’environnement. Elle est notamment l’une des fondatrices, en 1993, du Conseil des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH), qui s’est érigé en tant que porte voix du peuple indigène Lenca pour la défense de leurs droits.
Très vite, le combat mené par les militants et militantes de l’association et Berta Cáceres va être entaché par des atteintes à leur espace civique. Ils observent une militarisation de la zone et témoignent avoir été victimes d’arrestations arbitraires récurrentes de la part des forces de police, ainsi que de harcèlement de la part de la sécurité privée de la société Desarrollos Energéticos SA (DESA) en charge de la construction du barrage.
Cette construction s’inscrivait dans le cadre du projet hydroélectrique d’Agua Zarca prévoyant la construction de quatre barrages sur le Rio Gualcarque, initié sans aucune consultation préalable des communautés locales ni recueil de leurs consentements libres et éclairés.
La défenseuse est régulièrement réprimée lors d’actions menées contre ces chantiers et intimidée par les autorités au point qu’en 2009, elle est inscrite par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme sur la liste des personnes menacées. La Commission ordonnera également la mise en place de mesures de protection à son égard. Il s’avère en réalité que la lauréate du prix Goldman pour l’environnement « n’avait, de fait, reçu aucune protection de l’Etat sous pression de ceux qui défendent le secteur minier et les entreprises hydroélectriques. »
Pour ne citer que quelques exemples parmi d’autres, Berta Cáceres a notamment été la victime d’un coup monté. A l’occasion d’un contrôle, les autorités fouillent le véhicule de la militante et trouvent une arme. La défenseuse a toujours assuré que ce n’était pas la sienne. Pourtant, à la suite de cet événement, elle sera placée sous contrôle judiciaire avec obligation de se présenter au tribunal chaque semaine et empêchée de voyager librement jusqu’en 2014, date à laquelle l’affaire sera close. En parallèle, elle fera l’objet de deux autres procès intentés par DESA pour préjudice à l’entreprise. Berta Cáceres a beaucoup souffert de ces condamnations.
Toujours dans une volonté de réduire au silence les militants et militantes, la société avait d’autre part saboté la radio La Voz del Gulacarque créé par le COPINH afin de donner la parole au peuple Lenca. Ainsi, elle était empêchée de diffuser, d’informer et de fédérer les communautés autour de son action.
Le rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile est un fléau conduisant de nombreux défenseurs et défenseuses des droits humains à être confrontés à des mesures de représailles sans précédent. En Amérique centrale, comme ce fut le cas pour Berta Cáceres et pour de nombreux militants écologistes amérindiens, il est fréquent que les mesures de répression visant à réduire les défenseurs et les défenseuses au silence aillent jusqu’à l’assassinat.
A l’issue de plusieurs mois d’enquêtes, des membres des services de renseignement de l’armée et des employés de la société DESA seront arrêtés pour le meurtre de Berta Cáceres. Le 2 décembre 2019, les quatre tueurs à gages, un major de l’armée, un responsable de DESA et l’ancien chef de la sécurité de l’entreprise sont écroués pour avoir assassiné la militante.
En juin 2022, Roberto David Castillo, directeur exécutif de DESA, reconnu comme co-auteur du meurtre pour avoir fait le lien entre les commanditaires et les exécutants, sera également condamné à 22 ans de prison. L’entourage de Berta Cáceres regrette toutefois qu’il n’ait pas écopé de la peine maximale. « Ce n’est pas facile, car ce sont des personnes qui ont un grand pouvoir politique et économique », témoignait le frère de la victime.
Toutefois, les véritables cerveaux de ce crime ayant ordonné l’assassinat demeurent à ce jour impunis. L’enquête diligentée par le parquet du Honduras a présenté certaines failles, ne cherchant pas réellement à faire plonger les coupables hauts-placés. En 2017, des policiers avaient été accusés de falsification de preuves, certaines pièces n’étaient pas consultables par les avocats et le dossier d’instruction avait même été dérobé à une magistrate.
Avant son décès, Berta Cáceres avait alerté avoir été menacée de mort à trente-trois reprises et avait tenté de déposer des plaintes, malheureusement restées sans réponse. La nuit de sa mort, elle ne bénéficiait d’aucun dispositif de protection. Face à l’insécurité croissante, les défenseurs et défenseuses des droits ne sont plus assurés d’avoir recours à la protection des autorités et à une justice indépendante et impartiale.
Au Honduras, le phénomène de rétrécissement de l’espace civique a été accentué depuis le coup d’État militaire de 2009. Deux mois seulement après ce changement de pouvoir, une loi générale des eaux est votée, permettant l’octroi de concessions sur un tiers des ressources hydriques du pays. Des mégaprojets, notamment des barrages hydroélectriques, se multiplient sur le territoire et sur les terres indigènes. Des centaines de honduriens et honduriennes qui manifestent contre de tels chantiers, mais aussi contre des exploitations minières et forestières ou agro-industrielles seront tués.
Après le coup d’État et avant la récente élection de Xiomara Castro à la présidence du pays, le Honduras a connu une succession de gouvernements profondément corrompus et agissant en faveur des intérêts des entreprises spoliant les ressources des populations et détruisant l’environnement. Le pays est devenu l’un des plus à risques pour les défenseurs et les défenseuses des droits humains.
Par ailleurs, en 2021, le Congrès national du Honduras a approuvé une réforme du Code pénal et de la loi spéciale sur le blanchiment d’argent, venant encore réduire l’espace civique des militants et militantes, puisqu’elle défini « l’occupation illégale de l’espace public » comme une forme de détournement de biens. Des peines de prison sont désormais prévues pour quiconque « occupe illégalement un terrain ou un espace destiné à la jouissance de biens publics comme le droit d’utiliser un chemin, une route, un jardin, un parc, un espace vert, une avenue ou tout autre lieu destiné à l’usage ou à la jouissance du public » dans le but d’empêcher une autre personne de « pouvoir commencer ou poursuivre ses occupations, affectant ainsi l’exercice régulier de ses activités et de ses droits ».
En dépit du climat de plus en plus hostile envers les défenseurs et les défenseuses des droits au Honduras et malgré les multiples difficultés rencontrées par la militante, Berta Cáceres n’a jamais cessé de défendre les droits des populations autochtones et l’environnement. Son acharnement lui a valu d’être récompensée en décembre 2023, à titre posthume, de la citoyenneté d’honneur de la Ville de Lyon. Aujourd’hui, son parcours inspire tous les militants et militantes à travers le monde, elle est un véritable symbole pour les communautés autochtones défendant leurs territoires.
Le nouveau rapport « Stop au rétrécissement de l’espace civique : l’appel à l’action de la PDH » est toujours disponible, en cliquant ici.