mai 2023
“J’étais persuadé qu’ils allaient me tuer. Malgré cela, je maintenais un visage serein pour éviter d’insuffler la peur à mon épouse, mes enfants.” C’est par ces mots que Germain RUKUKI, défenseur des droits humains (DDH) originaire du Burundi, se remémore douloureusement l’épisode de son arrestation en juillet 2017.
Germain RUKUKI est reconnu internationalement pour son travail en faveur des droits humains au sein de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) du Burundi, membres du réseau de la Fédération internationale des ACAT, association luttant pour le respect de la dignité humaine, et en particulier pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. Il devient bénévole de l’ACAT en 2004 avant d’endevenir le responsable administratif et financier en 2011. Régulièrement, il se rendait dans les lieux de détention du pays pour réaliser un monitoring des violations des droits humains perpétrées dans le milieu carcéral.
En 2015, suite à la réélection pour un troisième mandat du président Pierre NKURUNZIZA, en violation de la constitution nationale et des accords d’Arusha, une vague de manifestations s’empare du Burundi. Débutent alors de multiples actes de persécutions de la part des autorités envers les DDH et les opposants politiques tenus responsables de ces mouvements de contestation. Les DDH et les journalistes sont arrêtés et détenus arbitrairement, et plusieurs organisations de la société civile sont radiées. C’est le cas de l’ACAT Burundi, devenue illégale car, selon le gouvernement, elle “ternissait l’image du pays” en documentant les cas de violation des droits humains.
C’est dans ce contexte que le 13 juillet 2017, Germain RUKUKI est arrêté par une trentaine de policiers lourdement armés, tôt le matin, à son domicile. Les autorités fouillent l’habitation, et emmènent le militant à son bureau pour perquisitionner son ordinateur et ses dossiers. Il est ensuite transféré au Service national de renseignement (SNR) où il est retenu pendant deux semaines, sans avoir le droit aux visites de ses avocats, violant ainsi ses droits à la défense. Alors même qu’il n’a ni été présenté à un juge, ni été informé des charges pesant contre lui, il est ensuite envoyé à la prison de Ngozi, tristement réputée pour enfermer des prisonniers politiques et pratiquer la torture.
Le droit à un procès équitable du DDH, pourtant garanti par l’article 38 de la constitution du Burundi, a délibérément été violé à maintes reprises. En outre, il a été maintenu en détention préventive malgré l’absence d’indices sérieux, n’a pu accéder qu’à quelques pièces de son dossier qui en contenait pourtant 174, a été détenu dans une prison géographiquement éloignée du tribunal en charge de son dossier, et les autorités n’ont pas respecté le délai imposé de huit jours entre la date d’assignation et celle de comparution. L’ensemble de ces agissements ont été commis en violation du Code de Procédure Pénale, ce qui semble être chose courante de la part des autorités burundaises: ”Au Burundi, les droits des personnes détenues sont systématiquement violés et c’est encore pire pour les personnes qui sont en prison pour des raisons politiques” témoigne l’activiste.
C’est finalement une peine sans précédent qui va être prononcée à son égard: le 26 avril 2018 Germain RUKUKI est condamné à 32 ans de prison en dépit de l’absence de preuve. Il s’agit de la sentence la plus lourde jamais prononcée au Burundi à l’égard d’un DDH. Cette peine s’apparente à une tentative délibérée des autorités pour le réduire au silence, et dissuader les autres membres de la société civile de poursuivre leurs actions. C’est avec stupeur que le DDH apprendra la retenue de six chefs d’accusations contre lieu, alors même qu’en août 2017, le procès verbal du premier magistrat l’ayant interrogé l’avait en tout et pour tout accusé de “rébellion” et “d’atteinte à la sûreté de l’Etat”. Désormais, Germain RUKUKI est notamment rendu coupable de participation à “l’assassinat de militaires, civils et policiers”, de participation à un “mouvement insurectionnel”, de “dégradation des édifices publics et privés” ou encore de s’être livré à la planification d’un “attentat contre le chef de l’Etat”.
Le 26 novembre 2018, la Cour d’appel de Ntahangwa est saisie, mais le dossier de Germain RUKUKI disparaît et ne sera retrouvé que six mois plus tard. Le 31 mai 2019, l’audience s’ouvre et les débats reprennent en son absence et celle de ses avocats. Le 17 juillet, la peine prononcée en première instance est confirmée, Germain RUKUKI reste en prison.
À partir de l’année 2020, les événements vont prendre une tournure plus favorable pour le militant qui ne se décourage pas. Quelques semaines seulement après le décès du président Pierre NKURUNZIZA, la Cour de Cassation est saisie et décide du renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel. C’est ainsi que le 21 juin 2021, le verdict tombe et sa peine est réduite à une année de prison et au paiement d’une amende de 5000 francs burundais (environ 20€). Germain RUKUKI est libéré le 30 juin 2021, grâce à la pression exercée par les diplomates. Pourtant innocent, le DDH aura passé quatre ans derrière les barreaux, dans des conditions très difficiles. Alors que la dégradation de son état de santé était alarmante, il a manqué de soins et d’examens adéquats, mettant sa vie en péril. A plusieurs reprises, il a également été sommé de payer des sommes d’argent astronomiques pour avoir le droit d’être dans sa cellule et a fait l’objet de menaces et de persécutions.
Avant sa condamnation, l’activiste était déjà parvenu à échapper à plusieurs arrestations, à un enlèvement, ainsi qu’à un attentat contre sa personne. Aujourd’hui, le défenseur a trouvé refuge en Belgique avec son épouse et leurs enfants, loin de son pays, le Burundi, où sa sécurité n’est plus garantie.
Désormais, même à plusieurs milliers de kilomètres du Burundi, le militant poursuit ses actions en faveur des droits humains. Il a notamment fondé l’organisation Ensemble pour le soutien des défenseurs des droits humains en danger (ESDDH) qui accompagne les DDH en difficultés, et assure le suivi de la situation des droits humains en général et dans les milieux carcéraux. Il mène un plaidoyer actif auprès des institutions internationales et nationales, des activités de monitoring et des actions conjointes en lien avec la société civile burundaise et les organisations internationales. “Nous espérons que nos multiples actions de plaidoyer finiront, tôt ou tard, par porter leurs fruits” témoigne t-il.
Le parcours de Germain RUKUKI a été périlleux. Malgré tout, il demeure optimiste quant à une possible amélioration de la situation au Burundi, et se dit fier d’avoir “pu contribuer à ce que le monde sache à quel point la justice burundaise est le suppôt du pouvoir exécutif – et, par conséquent, à ce qu’il y ait moins de victimes”, ainsi que des vies qu’il a pu sauver de part son engagement au sein de l’ACAT, en luttant contre les exactions judiciaires.